- Qu’est-ce qu’ils foutent ? LA MAIRE / NELSON / WAGNER
Wagner tourne comme un lion en cage en avant-scène. Il consulte sa montre toutes les dix secondes.
WAGNER. Mais qu’est-ce qu’ils foutent ?!! Ils devraient être arrivés depuis au moins deux heures ! (Il compose un numéro sur son téléphone. Énervé) C’est Wagner ! Ça fait douze messages que je laisse ! Rappelez-moi ! Vite ! (Il raccroche). Mais qu’est-ce qu’ils foutent ?!!!
NELSON entre précipitamment.
Qui ça, Monsieur le Directeur ?
WAGNER. La troupe ! Sont pas encore arrivés. Toujours pareil avec ces acteurs !
NELSON. Peut-être qu’ils se sont arrêtés pour boire un coup ?
WAGNER. Il ne faut jamais boire avant de jouer ! Ils vont bafouiller le texte, mâchouiller les mots, merdouiller la pièce. On ne doit pas merdouiller la pièce, tu entends Nelson ? Pas merdouiller ! C’est une pièce de Feydeau, on ne merdouille pas La puce à l’oreille, une pièce du grand Feydeau !
NELSON. Ce n’est pas La puce à l’oreille ! Ce soir, c’est Un fil à la patte !
WAGNER sortant un programme de sa poche et lisant.
Hein ??? Oui… Evidemment ! Je te faisais marcher ! Moi, le directeur du théâtre, je ne saurais pas quelle pièce va se jouer ? Ce serait le comble ! Je te rappelle : je joue ma vie… et la tienne !
NELSON. Ma tienne ? Ta mienne ? Ma… Hein ? Qu’est-ce que j’ai fait ?
WAGNER. Nos destins sont liés, mon petit Nelson. Ce soir, la pièce est retransmise à la télé, la représentation doit être ex-cep-tion-nelle. La France va me regarder ! M’admirer ! (il se met au garde-à-vous) La France va m’acclamer ! ♫ Allons z’enfants de…
NELSON le coupant.
Hé bé, vous manquez pas d’air, vous !
WAGNER. Si, justement. Ouvre les fenêtres !
NELSON fait le tour de la scène, fouille derrière des bouts de décor ou accessoires posés là.
Y’a pas de fenêtre, patron !
WAGNER. Encore une invention d’architecte ! Je te foutrais tout ça au goulag ! Allez, zou, le boulet au pied et ça va casser du caillou par moins cinquante ! Y feront moins les malins ! Faut pas me chercher, moi !
NELSON. À propos de chercher, y’a madame la maire qui veut vous parler !
WAGNER. Comme si je n’avais pas autre chose à faire.
NELSON. Z’avez qu’à en profiter pour lui demander d’augmenter les subventions.
WAGNER. Oui, mais si c’est pour me casser les pieds, je vais l’envoyer sur les roses la cocotte !
MAIRE entre.
C’est qui la cocotte ?
WAGNER surpris et péteux.
Ha… haaaa… madame la maire ! Oh là là, quel plaisir… Quel ravissement… Justement, je voulais…
NELSON. Vous envoyer sur les roses !
WAGNER. Voilà ! Hein ? Non ! Pas du tout ! (Il donne un coup de coude à Nelson) Je voulais vous envoyer DES roses ! (Nelson le regarde, surpris) Pour vous remercier.
MAIRE. De quoi ?
WAGNER. De… (flatteur) De ce que vous faites pour la culture de notre belle ville.
MAIRE. À propos de notre belle ville, j’ai une grande nouvelle à vous annoncer.
WAGNER. Je suis sûr qu’elle sera bonne !
MAIRE. Ça dépend pour qui…
NELSON fort.
Ça sent l’entourloupe !
WAGNER en reproche.
Doucement !
NELSON répète aussi fort mais en parlant lentement.
Ça sent l’en-tour-lou…
Wagner lui met la main sur la bouche pour l’empêcher de parler et regarde la maire d’un air très embarrassé.
MAIRE. J’ai décidé de raser la maternité…
NELSON. Vous voulez dire « raser les sages-femmes de la maternité » ? Vous avez raison, y’en a qui ont des moustaches qui…
MAIRE. Taisez-vous ! C’est le bâtiment, que je veux raser ! Finie la maternité, ça ne sert ça rien !
WAGNER. Où est-ce que les femmes accoucheront ?
MAIRE. Dans leurs voitures, chez leurs mémés, ou chez elles, c’est tendance. Tiens ! Elles n’auront qu’à accoucher dans le centre commercial. Avec ou sans maternité, il faudra que leurs mômes sortent !
NELSON. La maternité va accoucher d’un centre commercial ?
MAIRE. Voilà ! On va bâtir à la place un magnifique complexe de trois étages qui va rapporter plein d’argent. Et pour accueillir les milliers de visiteurs qui vont se presser dans ce nouveau temple de la consommation inutile mais rentable, nous construirons un superparking
NELSON. Pas con ça !
WAGNER mielleux.
Excellente idée, madame la maire. J’espère qu’il ne sera pas trop loin du théâtre, que nos spectateurs puissent en profiter.
MAIRE. Ça, pour ne pas être loin, il ne sera pas loin.
NELSON. Rue Jean Jaurès ?
MAIRE. Vous êtes froid.
WAGNER. Rue Lamartine ?
MAIRE. Encore froid.
NELSON. Rue Paul Bert ?
MAIRE. Aaaah ! Ça chauffe, ça chauffe…
WAGNER. Mais… Plus chaud que la rue Paul Bert, c’est… (La maire fait oui de la tête) Oh non ?
MAIRE même jeu.
Oh si !
NELSON. Oh quoi ?
WAGNER. Oh merde ! (à Nelson) Le parking, ils vont le faire ici !
NELSON. Génial, ça ne peut pas être plus près du théâtre !
WAGNER en colère.
Pas à côté, idiot, dessus !
NELSON. Sur le toit ?
WAGNER. Mais non !
NELSON. Dans les loges ?
WAGNER. Tu ne comprends pas sombre crétin ? (moue négative), ils vont construire le parking ICI. Dans cette salle !
NELSON rigole.
C’est impossible, Monsieur le Directeur, avec les fauteuils, on ne peut pas garer suffisamment de voitures. (Au fur et à mesure qu’il compte, le doute s’installe jusqu’à comprendre) Deux sur la scène, trois devant, une en coulisses, deux… Oh non !
MAIRE. Oh si !
NELSON. Oh merde !
WAGNER. C’est ce que je disais !
NELSON à la maire.
Vous n’avez pas le droit !
MAIRE. J’ai tous les droits.
WAGNER. Vous appauvrissez notre ville !
MAIRE. Au contraire, je l’enrichis. Je remplace des postes qui coûtent par des postes qui rapportent !
WAGNER. S’il n’y a plus de théâtre, il n’y a plus de culture dans la ville !
MAIRE. On plantera des navets, ça ne changera pas beaucoup de vos pièces ! (Elle rigole, contente d’elle).
NELSON déçu, à lui-même.
J’aime pas trop ça, les navets.
MAIRE. Avec plein d’engrais, ça sera même de la culture intensive.
WAGNER. Mais… S’il n’y a plus de théâtre…
MAIRE. Y’a plus de directeur !
NELSON. Eh oui ! (après un temps) Mais… s’il n’y a plus de directeur…
WAGNER. Y’a plus de régisseur, Nelson !
NELSON comme une évidence.
Eh bé oui, forcément ! (réalisant) Mais… Le régisseur Nelson, c’est moi !
MAIRE. Ce soir on profite d’une belle représentation. Demain, les bulldozers rasent tout. Bonne soirée. (Elle sort)
WAGNER s’affale dans un fauteuil.
Mon théâtre rasé… Ce n’est pas possible ! Qu’est-ce que je vais devenir ?
NELSON. Et moi ? Et les comédiens ?
WAGNER. Les comédiens ! Je les avais oubliés ! Ô rage, ô désespoir que n’ai-je donc vécu que pour cette troupe de faux-amis ? (il rumine un instant) Oh, et puis au diable les comédiens puisque demain le théâtre sera rayé de la carte.
NELSON. À moins que…
WAGNER. À moins que quoi ?
NELSON. À moins que ce soir on profite de la télé pour dire à la France entière que la maire nous prend pour des navets.
WAGNER se lève d’un bon, prend Nelson dans ses bras puis le regarde droit dans les yeux. Nelson, j’ai une idée ! Ce soir on profite de la télé pour dire à la France entière que la Maire nous prend pour des navets.
NELSON soufflé.
Eh bé, c’est ce que je disais !
WAGNER. Je savais que mon idée te plairait ! Je suis GE-NIAL ! On lève le rideau dans combien de temps ?
NELSON Qui n’a pas de montre, prend le bras de Wagner pour lire l’heure.
Une heure et demie.
WAGNER. Une heure et demie ? Parfait. Je cours écrire mon discours. Je vais la mettre à genoux la cocotte ! (Nelson le regarde, sceptique) En tout bien tout honneur, bien sûr, hem, hem… Tu ne bouges pas de la porte. (Nelson se fige face à la porte des loges, de façon grotesque). Dès que la troupe arrive tu leur dis de se mettre au boulot. La représentation doit être exceptionnelle. J’ai rendez-vous avec la France. Compris ? (Il sort en fredonnant la Marseillaise) ♫ Allons z’enfants de…
NELSON. Eh bé, d’accord !
- Où sont les comédiantes ? ANGELO / NELSON
ANGELO entre avec panache.
Place à lé grand Angelo !
NELSON. Angelo ! Enfin ! (après un regard rapide derrière Angelo) Tu n’es pas venu avec les comédiens?
ANGELO. Qué no ! Angelo est oune grand metteur en scène qui parcourt lé monde dans sa propre automobile ! Dé Los Angeles à Soucy-en-Brie, dé Vénisse à Plougastel.
NELSON rapidement, désordonné, tournant en rond comme un hamster en cage.
Inquiétude ! Retard !!! Bulldozer ! Kaput !
ANGELO. Kaput ?
NELSON. Demain ils vont garer leurs voitures dans le théâtre pour faire leurs courses à la maternité…
ANGELO désorienté.
Tou as l’air d’avoir abousé dé la grappa, mon ami !
NELSON. Tu comprends rien, toi ! Ils vont faire un parking à la place du théâtre. Wagner va profiter de la représentation de ce soir pour alerter l’opinion ! Ils sont où les comédiens ?
ANGELO. Dans l’autocar.
NELSON. Il est où l’autocar ?
ANGELO. Pas arrivé ? (Nelson fait non de la tête) Pas normal ! On joue dans combien dé temps ?
NELSON prend le bras de Angelo pour lire l’heure.
Dans une heure vingt-cinq.
ANGELO. Cé la cacatastrophe.
NELSON. Si pas les comédiens, plus de spectacle, plus de télé, plus de discours plus de théâtre, plus de directeur, plus de régisseur, et ?...
ANGELO. Et… Et yé sais pas !
NELSON. Plus de metteur en scène !
ANGELO. Qué ? Ma, cé la cacatastrophe atomique, la bomba latino !!! Mamma Mia ! Plou d’Angelo, cé oune cataclysme pour la coultoure mondiale !
Angelo s’affale dans un fauteuil, s’éponge le front avec son écharpe. Nelson s’assoit près d’Angelo, dos à l’entrée. Il fait boire Angelo.
- Aïe aïe aïe ! ANGELO / ESTELLE / NELSON
ANGELO. Qui veut faire oune parkine ?
NELSON. La maire.
ANGELO. Pourquoi ta mamma fait ça ?
NELSON. Quoi ma mamma ? Ah, mais non, mais non ! Je parle de la maire pas de ma mère.
ANGELO pour lui-même, complètement perdu.
La mamma mais pas la mamma ? (il lui met la main sur le front) Ouh là là, toi calore, calore !
Pendant ce temps, Estelle entre. Dépenaillée, vêtements déchirés, cheveux hérissés. Elle porte un sac à main.
Nelson est placé de telle façon qu’il cache la vue d’Angelo. Ni l’un ni l’autre ne voit Estelle entrer.
NELSON. Qu’est-ce qu’on va devenir, Angelo ? (Il s’éponge le front avec l’écharpe d’Angelo. Ce dernier lui retire sèchement avec un regard méprisant)
Angelo. Tou ? Lé chômage. Directionne Pole Emploi ! (Désabusé) Mi… (se levant d’un seul coup, théâtral) Mi yé souis oune grande star ! Les théâtres dou monde entier attend mon génisse !
NELSON. Eh bé, sympa, le génisse ! Tout pour ma gueule !
Estelle tapote sur l’épaule de Nelson. Celui-ci se retourne et voit Estelle.
NELSON. AAAAAAAHHH !
ANGELO. AAAAAAAHHH aussi !
NELSON dévisageant Estelle.
Estelle ? C’est toi ?
ESTELLE. Non, c’est le pape !
NELSON. Tu as changé de coiffure !
ESTELLE. J’ai eu un pépin, sur la route.
ANGELO. Oune pépine ? Gravo ?
ESTELLE. Gravo, gravo… ça dépend… J’ai raté un virage avec la camionnette…
ANGELO. Oune virage ?
NELSON. Aïe aïe aïe !
ESTELLE. La camionnette est tombée dans un ravin.
ANGELO. Oune ravine ?
NELSON. Aïe aïe aïe !
ESTELLE. En cognant un rocher, elle a explosé.
ANGELO. Oune explosionne ?
NELSON. Aïe aïe aïe !
ESTELLE. J’ai été éjectée !
ANGELO. Oune éjectionne ?
NELSON. Aïe aïe aïe !
ESTELLE. Mais non pas aïe aïe aïe, puisque je suis vivante !
NELSON & ANGELO. Ouf ouf ouf !
ESTELLE. En revanche tout a brûlé dans l’explosion. (Elle sort de son sac à main un petit sac plastique transparent rempli de cendres)
ANGELO s’effondre, il en fait des caisses.
Oh no !!! No no no no no ! Les comédiantes… (il prend le sac plastique dans ses mains et le sert très fort contre lui). Santa tortellini (il embrasse le sac) Ils sont morts… Ma no… Pas possiblo (il pleure).
ESTELLE. Angelo !
ANGELO. Mi Ôdélina !
ESTELLE. Angelo !
ANGELO. Mi Coco !
ESTELLE. Angelo !
ANGELO. Mi Alfredino !
ESTELLE. ANGELO !!
ANGELO. Si ?
ESTELLE. Les cendres, ce sont les accessoires…
ANGELO. Ma qué ???
ESTELLE sort une autre poche un peu plus grande.
Les costumes
NELSON. Eh bé…
ESTELLE sort une poche encore un peu plus grande.
Et les décors.
ANGELO. Ma, cé la catatastrophe !
NELSON. Comment faire on va ?
ESTELLE. Comment faire on va ? Rien du tout j’en sais !
NELSON. Monsieur Wagner va pas être content….
ANGELO. Il faut lé prévenir de toute ourgence !
NELSON. Bien dit Angelo ! Vas-y !
ANGELO. Perqué mi ?
NELSON. Perqué, perqué… parce que t’es le metteur en scène !
ANGELO. No, no, no ! Pas mi, pas mi… Tou, le prévenir !
NELSON. Pas question ! La dernière fois que je lui ai annoncé une mauvaise nouvelle, il m’a cassé un pied !
ESTELLE. Il t’a cassé un pied ?
NELSON. Un pied de micro ! Je venais juste de l’acheter. Il a piqué une crise parce qu’il était trop cher.
ESTELLE. Tu me rassures ! C’est le pied si c’est pas ton pied !
NELSON. Mes pieds (montrant ses pieds) c’est tous les jours qu’il me les casse !
ESTELLE. Courage, Nelson ! (Elle le pousse vers la sortie. Il freine, elle insiste)
NELSON. Bon, ben, j’y vais… (Il sort puis revient aussitôt, on sent qu’il veut gagner du temps) Y’aurait pas un casque ?
ESTELLE lui tend un casque de gaulois (ou autre) qui trainait dans un coin.
Tiens !
NELSON enfile le casque.
Bon, ben, j’y vais… (il sort puis revient) Y’aurait pas un bouclier ?
ESTELLE lui donne un bouclier (ou une chaise ou tout autre objet qui protège).
Tiens !
NELSON prend le bouclier.
Bon, ben, j’y vais… (il sort puis revient) J’ai pas l’air ridicule ?
ANGELO. Pas plous que d’habitoude !
NELSON. Bon, ben, j’y vais… (il sort puis revient) J’y vais vraiment ? (Angelo et Estelle lui indiquent la sortie d’un geste ferme) Ah d’accord ! (Il sort).
ANGELO. Cé bien, tou es courageux comme oune cavaliéro. (Il sort).
- Toi, enfin toi ! ANGELO / DUCASSE / ESTELLE
ESTELLE se précipitant sur Angelo.
Toi, toi, toi… Enfin toi ! (Elle l’enlace).
ANGELO tente de se détacher.
Pas ici malheureuse ! Vieni ! (Il veut l’entraîner vers la sortie, elle ne veut pas).
ESTELLE. Pourquoi se cacher ? Tu m’aimes, je t’aime, il n’y a pas de honte, d’autant que nous allons nous marier.
ANGELO. Si, si, le mariage… Oh là là, si, si… Ma, faut attendre oune poquito…
ESTELLE. Pourquoi ?
ANGELO. Les sous, lé fric, l’argent ! Y’en n’a pas ! Et si pas dé représentation cé soir, dé l’argent y’en aura encore moinsse.
ESTELLE. On s’en fiche de l’argent. On est des saltimbanques. On s’aime ! Les amoureux peuvent se marier sans argent ! Nous sommes Roméo et Juliette, Gabin et Morgan, Tom et Jerry, David et Jonathan !
Ducasse entre, traverse la scène, un balai à la main, sans qu’Angelo et Estelle ne la remarquent. Ducasse les regarde et prête l’oreille.
ANGELO. No no no, ils sont tous morts ! Yé veux me marier avé l’argent ! Pas l’argent, pas dé mariage !
ESTELLE. Pour l’argent ça va s’arranger. Wagner a de grands projets pour ce théâtre. Il a besoin de quelqu’un pour le seconder. Je vais me proposer. Par contre, il ne faut surtout pas qu’il apprenne que l’accident du camion c’est un petit peu de ma faute.
Ducasse s’apprête à sortir. Elle marque un temps d’arrêt intriguée par la conversation. Elle sort un carnet et note.
ANGELO suspicieux.
Comment, oune petit peu dé ta faute ?
ESTELLE. J’étais en train d’écrire un texto en conduisant…
ANGELO. Oune Texto ? Ma cé dangereux ça ! À qui tou écrivais ?
ESTELLE. A toi mon Amour !
ANGELO regardant son portable.
Yé lé pas réçou !
ESTELLE. Promets-moi de ne rien dire à Wagner pour ne pas compromettre mon embauche. C’est notre petit secret, d’accord ?
ANGELO résigné.
D’accord.
Elle tend la main pour qu’il tope. Il hésite un court instant puis tope sans grande conviction. Ducasse, sort, l’air satisfait.
ANGELO. Ma il y a oune pétit problémo… Démain matin, il n’y aura plou dé théâtre !
ESTELLE. Comment ça plus de théâtre ?
ANGELO. La mamma va rédouire le théâtre en miettes. Elle veut constrouctionné oune parkine à la place.
ESTELLE. La mère de qui ? De Wagner ?
ANGELO. No, dé Nelson… Enfin… Pas sa mamma à loui, mais… la mammma !!!
ESTELLE. Je ne comprends rien ! (elle sort).
ANGELO. Mi non plou !
- Arrivée de Chochéphine ANGELO / JOSÉPHINE
JOSÉPHINE entre le nez dans un manuscrit. Elle parle avec un fort accent.
« CHIEL MON MÔRI ! CHIEL ! CHIEL ! CHIEL ! ».
ANGELO. Qui esta chiel ?
JOSÉPHINE. Bonchour Monchieur, che chuis Chochéphine. (Chocheph si rôle masculin)
ANGELO. Chochéphine ?
JOSÉPHINE articule mais ça n’améliore pas sa prononciation.
Cho-ché-phi-ne !
ANGELO. Qué cé qué vous faites ?
JOSÉPHINE. Che chuis la chouffleuche.
ANGELO. La CHouffleuCHE ? Qué cé qué cé qué la CHouffleuCHE ? La fémelle dou choufleur ?
JOSÉPHINE. Chou-fleu-che ! (Elle souffle) Pfff pfff ! Pour choufler le tekchte !
ANGELO. Oh Mamma Mia, non capito rien dé cé qué vous dites !
JOSÉPHINE. Ch’est à cauche de ma shcolioche. Cha m’a décalé la mâchoire, che manche mes mots.
ANGELO. Vous mangez pas, vous dévorez ! Comme oune ogresse !
JOSÉPHINE. Vous chêtes qui ?
ANGELO. Angelo, le metteur en scène.
JOSÉPHINE. Bonchour Anchélo !
ANGELO. Angelo !
JOSÉPHINE. Ch’est che que ch’ai dit ! Vous êtes chourd ou quoi ? Bon, ch’est pas que che m’ennuie mais che doit révicher, pour être au top.
- La bagarre & La porte ANGELO / JOSÉPHINE / LA MAIRE / NELSON / WAGNER
WAGNER off.
VOUS VOUS FOUTEZ DE MOI ?
NELSON off.
Aïe ! Aïe ! Aïe-aïe-aÏe!
ANGELO. Santa Ricotta !
JOSÉPHINE. Ch’est le directeur qui tape Nelchon ? Il faut aller à cha rechcouche ! (Elle sort et laisse la porte entrouverte).
ANGELO effrayé.
À la rechcouche ? Yé… yé reste pour... pour… pour sourveiller !
JOSÉPHINE off.
Monchieur Ouachner, calmez-vous !
WAGNER off.
Incapable ! Bon à rien !
Nouveaux cris en coulisses. Angelo s’approche prudemment pour tenter de voir ce qui se passe. Il est derrière la porte entrouverte. Nelson entre en courant. Angelo se prend la porte et se retrouve coincé entre la porte et le mur.
NELSON. PAS LES CHEVEUX ! PAS LES CHEVEUX ! (Il met ses mains sur la tête pour se protéger).
Angelo repousse la porte. Il peut avoir le nez en sang.
WAGNER entre à la poursuite Nelson. Il pousse la porte violemment, Angelo la prend idem scène précédente.
LES ACCESSOIRES ? EN FUMEE ???
NELSON. PAS LES OREILLES ! PAS LES OREILLES ! (Il protège ses oreilles et se sauve).
Wagner course Nelson à travers la scène et le rattrape en lui pinçant le nez.
WAGNER. LES COSTUMES ? EN CENDRES ???
NELSON voix nasillarde.
PAS LE NEZ ! PAS LE NEZ !
JOSÉPHINE. Monchieur Ouachner, ch’il vous plait !
Joséphine tente de s’interposer. Angelo se tient à distance.
WAGNER. Je vais vous étrangler comme un goret !
NELSON. Crruîîî ! Crruîîî ! Crruîîî !
JOSÉPHINE. Chi che peux me permettre, les gorets, on ne les chétrangle pas, on les égorche !
WAGNER. D’accord, donnez-moi un couteau !
NELSON. Lâchez-moi !
JOSÉPHINE. Lâchez-le ! Regardez, monchieur le directeur, le metteur en chène est arrivé !
WAGNER lâche Nelson d’un coup qui s’écroule. Il balaye la pièce du regard.
Il est où ce gros prétentieux ?
NELSON. Il a pris la porte Monsieur.
WAGNER. Il a pris la porte ? COMMENT CA, IL A PRIS LA PORTE ??? Au prix où il est payé !!! Foutre le camp sur un coup de tête... Aujourd’hui en plus !
Tandis qu’il parle, la porte se referme doucement et laisse apparaître Angelo, main sur son nez encore plus en sang. Wagner ne le voit pas. Nelson se relève péniblement. Joséphine tente de lui faire des signes, rapidement imitée par Nelson mais l’autre est parti dans sa crise et ne comprend pas.
WAGNER. Tous des feignants ces artistes ! Des bons à rien ! Des glandeurs ! (Caricaturant Angelo) Yé souis lé génisse dou théâtre ! Lé grand metteur en scène ! (voix normale) Metteur en scène de mes genoux oui ! (Prenant enfin conscience des gestes de Nelson et Joséphine) QUOI ?
NELSON désignant Angelo.
Il n’a pas pris la porte sur un coup de tête…
JOSÉPHINE. Non, il a pris la tête chur un coup de porte…
NELSON. Non, il a pris un coup de porte sur la tête !
JOSÉPHINE. Ch’est cha !
WAGNER voit Angelo qui glisse le long du mur et s’assoit par terre.
Ah zut ! Angelo ? Angelo ? Vous êtes là ?
ANGELO écroulé.
Yé souis là, yé souis là… (en aparté) Yé souis même très très las…
NELSON lui tapote la joue.
Ça va, Angelo ? (Angelo fait un signe “couci-couça” de la main).
WAGNER pousse Nelson.
Laissez-moi faire, j’ai mon brevet de secouriste. (Il met une claque à Angelo).
NELSON. Vous l’avez eu dans un cours de boxe, votre brevet ? Ça va, Angelo ?
ANGELO revient peu à peu à lui, se frotte la joue.
Fe fuis claqué !
WAGNER agitant la main.
Une autre ?
ANGELO. Non merfi !... F’ai bobo à la tête ! (Nelson l’aide à se relever et l’assoit sur un fauteuil).
WAGNER détaché.
Ça va passer, il fait son douillet !
JOSÉPHINE. Il faut lui donner un verre d’eau !
NELSON. Je vais le lui chercher. (il sort).
ANGELO. Monfieur Fagner, f’est de moi que vous difez que fe fuis un feignant ?
WAGNER faussement outré.
Moi ? Jamais de la vie !
JOSÉPHINE. Chi, ch’est de vous !
WAGNER faussement outré.
Oooh ! Je parlais de… de… de Nelson ! Si je vous racontais !...
ANGELO. Se levant péniblement, menaçant.
Atteffion ! Angelo il est Fifilien, et les Fifiliens z’ont le sang chaud !
JOSÉPHINE. Ch’est quoi, Fifilien ?
WAGNER. Sicilien !
JOSÉPHINE. Ah, d’accord, Chichilien ! Ch’aurais churé qu’il était echpagnol ! Chi il chanche d’acchant comment voulez-vous que che comprenne !
WAGNER. J’ai beaucoup de respect pour les Siciliens ! (Wagner recule peu rassuré) Je vous laisse. À tout à l’heure. J’ai du boulot ! (mouvement de sortie précipité, il tombe sur la maire qui apporte des cartons) Mamma… ma mamma…
Nelson entre un verre à la main tout en téléphonant. Il tient une conversation agitée qu’on n’entend pas, et marche de long en large sur la scène.
JOSÉPHINE. Ch’est votre maman ?
Angelo avance vers Nelson, mais celui-ci ne l’ayant pas vu se déplace de l’autre côté de la scène.
WAGNER. Madame la maire ! Qu’est-ce qui nous vaut l’honneur de…
MAIRE. Je vous apporte des cartons !
Même jeu entre Angelo et Nelson.
JOSÉPHINE. Ch’est pourquoi faire ?
MAIRE. Pour faire vos cartons, quelle question !
JOSÉPHINE. Un carton pour faire des cartons ? Che comprends pas.
ANGELO. Mi non plou !
Angelo se dirige vers Nelson pour prendre le verre.
NELSON raccroche son téléphone, énervé.
Ras-le-bol des plombiers ! (Il boit le verre d’eau cul sec sous le regard médusé d’Angelo).
ANGELO. Mon verre d’ou !
NELSON. Oh pardon, j’avais oublié. Je vais en chercher un autre. (Il sort).
MAIRE met un paquet de cartons dans les bras de Joséphine.
Prenez-moi ça au lieu de bavasser ! Je voulais m’assurer que le déménagement avait bien commencé.
WAGNER. Laissez-nous le temps de préparer notre dernière représentation. Venez dans mon bureau, il y a deux trois choses dont je souhaite vous parler. (Il sort en entrainant la maire).
Nelson revient avec le verre d’eau. Angelo se précipite mais Nelson trébuche et envoie le verre d’eau à la figure d’Angelo. Joséphine pose les cartons et sort.
ANGELO dépité.
Merfi Nelfon ! (Il boit bruyamment). Fa fait dou bien par où fa paffe.
NELSON. Qu’est-ce qu’elle voulait la cocotte ?
ANGELO. Cocotta ?
NELSON. Eh bé la maire. Je ne sais pas pourquoi, Wagner l’appelle la cocotte !